BRUXELLISATION. Ce terme barbare existe, généralement employé dans les écoles d'architecture et d'urbanisme pour désigner "ce qu'il ne faut pas faire à une ville..." Ca laisse rêveur. BXL a été défiguré tout au long du XXème siècle par d'énormes chantiers, au nom de la "modernité" (et sans doute de quelques collusions entre pouvoir en place et investisseurs). L'édification du Palais de Justice qui rasa une partie des Marolles, le quartier populaire, valut au terme d'architecte de devenir une injure locale. La jonction ferroviaire Nord-Midi qui éventra la ville. Le "projet Manhattan" qui devait faire des quartiers Nord un nouveau WTC. La Cité administrative de l'état qui là aussi obligea au déplacement des habitants du vieux Bruxelles. On ressent une vraie douleur, une vraie plaie dans la ville. Lieux qui devaient propulser la capitale dans le "futur". Un futur obsolète depuis longtemps déjà et qui fait souvent penser à "Mon oncle" et "Playtime" de Tati. Comme cette cité administrative fantômatique et en apparence toujours déserte.
Les ciels de Bruxelles peuvent être très beaux. Loin de cette chappe uniforme et grise qui est, il faut malheureusement le reconnaître, la plus connue. Le ciel se venge donc parfois et nous offre quelques fulgurances. Comme cette toile de Magritte qui jamais n'a cessé de me plonger dans une douce rêverie.
Entre autre projets photographiques, j'envisageai une série sur les petits hôtels du centre ville. C'était l'été, un été particulièrement chaud et orageux (cela n'est pas si fréquent), de ceux où on laisse les fenêtres ouvertes, où allongé, les yeux rivés au plafond sur quelque motif d'un improbable papier peint, on se laisse bercer par la rumeur de la ville.
Le dimanche 4 août, chaussée de Louvain, il ne se passe rien. Rien d'autre que le mouvement alternatif des feux de circulation. Rien d'autre que l'air vibrant au dessus du goudron. Rien d'autre que l'allure modérée des nuages qui régulièrement viennent masquer le soleil. Rien d'autre qu'un grand silence parfois troublé par le passage d'un train ou le cri d'un enfant échappé. Rien d'autre que la lente décomposition d'un pigeon écharpé par un camion. Une aile dressée vers le ciel, les plumes oscillant sous l'effet d'un souffle de brise tiède. Un couple âgé qui à petits pas change de trottoir pour trouver l'ombre et me sourit. Rien d'autre que cette station prolongée sur ce bout de macadam où rien ne se produit. Il parait qu'un papillon battant de l'aile parc Josaphat pourrait déclencher une tempête au large des côtes d'Australie, qu'on ne sait toujours pas où ni comment naissent les vagues. Le dimanche 4 août, chaussée de Louvain en début d'après-midi.
C’est une ville Improbable Aux artères chahutées Aux chantiers incessants Austère et chaleureuse Endormie puis fiévreuse Festive, rétive Féconde et râleuse Une maîtresse changeante Séduisante et emmerdeuse Qui se donne Ne se donne plus Au gré de ses humeurs Une dame qui a ses heures
C’est une ville Amoureuse Rêveuse Une belle endormie Difficile à conquérir Sinon dans un fou rire C’est une ville Qui connait la logique du pire
J'ai vécu quinze ans à Bruxelles. Un bon petit bout de vie. Souvenirs, rencontres, amitiés, sensations accumulées. Ce blog me donne l'occasion d'en laisser une trace.